Un exemple des limites du calque latin dans la description du nom: la théorie des cas au XVIIIe siècle
Abstract
Au moment de décrire les parties d’oraison du français, les grammairiens des XVIIe et XVIIIe
siècles se tournent, comme leurs prédécesseurs, vers le latin, perçu comme un modèle d’excellence.
Plus spécifiquement en ce qui concerne le nom, cette imitation les conduit à décréter que cette
occurrence varie comme son homologue antique en genre, en nombre et en cas. La difficulté liée à
l’absence de morphème casuel du substantif français, loin de constituer un frein, est contournée : en
français la déclinaison du nom serait surtout celle de l’article, occurrence antéposée qui tout en
précisant la référence opérée par l’élément nominal, varie au gré de la fonction grammaticale
occupée par le groupe nominal. Ainsi, l’occurrence la femme (sujet ou complément d’objet)
correspondrait au nominatif et à l’accusatif, tandis que l’occurrence à la femme (complément
d’attribution) équivaudrait à un datif. Cette théorie, déjà en péril aux XVIe et XVIIe siècles, est très
largement remise en cause au XVIIIe siècle. La controverse ne décourage pas Régnier-Desmarais (1706)
et Vallart (1744), qui défendent la thèse d’une variation en cas et établissent des paradigmes de
déclinaisons, longuement explicités et justifiés (première partie). Leurs argumentations étayées se
heurtent aux exposés de Girard (1744) et de Du Marsais (1769), qui perçoivent le calque du latin
comme un contresens syntaxique et une méconnaissance des caractéristiques de l’article, classe de
mots en mal de statut (deuxième partie). Beauzée (1767) réconcilie les deux tendances en affirmant
que si le nom ne possède pas de déclinaison, le français reste une langue casuelle en ce qui concerne
le pronom. Rétablissant ainsi la légitimité du cas tout en le limitant à un type de mots précis, il s’interroge
plus globalement sur le rôle de cette catégorie grammaticale (troisième partie). When describing the different components of French speech, the grammarians of the
sixteenth and seventeenth centuries resorted, like their predecessors, to Latin, viewed then as a model
of excellence. More specifically, as far as the noun is concerned, their emulation led them to declare
that its occurrence varies in gender, number, and case, just as with its ancient counterpart. Far from
constituting an obstacle, the difficulty surrounding the lack of case morphemes in the French
substantive is circumvented: in French, the declension of the noun is more properly that of the article,
an anteposed occurrence that both clarifies the reference implied by the noun element and varies
according to the grammatical function occupied by the noun group. Thus the occurrence la femme
(subject or direct object) corresponds to the nominative and the accusative, while the occurrence à la
femme (indirect object) would equate to a dative. This theory, already endangered in the sixteenth
and seventeenth centuries, was very widely challenged in the eighteenth century. The controversy did
nothing to discourage Régnier-Desmarais (1706) and Vallart (1744), who defend the theory of case
variation and establish declension paradigms that they clarify and justify at length (first part). Their wellsupported arguments clash with reports by Girard (1744) and Du Marsais (1769), who perceive the Latin
calque as a syntactic misinterpretation and a misunderstanding of the characteristics of the article, at the time a poorly-regarded class of words (second part). Beauzée (1767) reconciles the two trends,
claiming that even if the noun does not undergo declension, French remains a case language as far as
the pronoun is concerned. Thereby restoring the legitimacy of the case while limiting it to a precise type
of word, he more generally questions the role of this grammatical category (third part).
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